Décision du Conseil fédéral de reconsidérer l’option du nucléaire

Mon collègue au Comité de CCN, et néanmoins ami, n’a publié son commentaire à propos de cette décision que sous la forme d’un modeste “reblog” sur notre site. Comme cet article mérite d’être dans une langue plus amène à beaucoup de lecteurs, nous en publions une traduction faite en commun avec clubenergie2051.ch.

Prendre en compte l’option nucléaire dès maintenant

Markus Saurer
Traduction de l’article paru le 29 août 2024 dans Finanz und Wirtschaft

Le Conseil fédéral veut supprimer l’interdiction de construire de nouvelles centrales nucléaires. C’est une mesure qui aurait dû être prise depuis longtemps au vu de l’évolution des circonstances et de l’échec de la politique énergétique.

Le Conseil fédéral veut opposer à l’initiative « Blackout » la suppression de l’interdiction de construire de nouvelles centrales nucléaires (CN) dans la loi sur l’énergie nucléaire. Si ce contre-projet indirect passe la rampe du processus démocratique, la principale exigence de l’initiative sera satisfaite. En revanche, le Conseil fédéral ne veut pas entrer en matière sur l’exigence supplémentaire d’une réglementation plus claire de la responsabilité de la Confédération et des cantons pour garantir l’approvisionnement en électricité.

Il n’est donc pas certain que l’initiative soit retirée si le contre-projet est adopté par le Parlement. Mais la gauche et les Verts veilleront de toute façon à ce qu’une votation populaire soit organisée pour lever l’interdiction des centrales nucléaires. Cela ne sera pas possible avant 2027. Des années, voire des décennies, s’écouleront donc encore avant les planifications concrètes, les autorisations et les premiers coups de pioche solennels pour de nouvelles centrales nucléaires. Mais cela se fera, car cela doit se faire. Pourquoi ?

Habile conseiller fédéral Rösti.

Les derniers sondages d’opinion laissent penser qu’au sein du peuple, il ne reste plus rien de l’attitude majoritairement anti-nucléaire adoptée après l’accident de Fukushima (2011). Les gens constatent qu’entre-temps, la plupart des pays du monde – même le Japon – ne misent pas seulement sur le photovoltaïque, les éoliennes et d’autres technologies dites « nouvelles et renouvelables », mais continuent à miser sur les centrales nucléaires, voire les renforcent. Ils voient les problèmes d’approvisionnement croissants, voire la menace d’une pénurie durant le semestre d’hiver en Suisse, et entendent parler de l’échec total de la tournante énergétique allemande, que la conseillère fédérale Leuthard a pris comme modèle pour la politique énergétique suisse après Fukushima.

Le conseiller fédéral (CF) Rösti, qui avait été en tant que conseiller national un critique véhément de cette politique et un partisan des centrales nucléaires et qui doit maintenant gérer les problèmes d’approvisionnement dont ses adversaires politiques de l’époque sont responsables, s’est montré très habile dans son nouveau rôle. Il a renoncé à désigner des coupables et a reconnu que le changement d’opinion qui se dessinait au sein du peuple permettrait également un changement d’opinion au sein de l’ensemble du Conseil fédéral, comme en effet il a maintenant pu le provoquer. Je suis prêt à parier que le CF Rösti parviendra à imposer sa politique de neutralité technologique en faveur des centrales nucléaires au Parlement et au peuple.

 « La politique énergétique de Doris Leuthard est une stratégie importatrice avec des importations de plus en plus incertaines ».

Mais le CF Rösti, sur le front politique et à la tête de son département, ne devrait pas agir sur le fond avec autant de prudence et de gentillesse comme il l’a fait jusqu’à présent. Le CF Rösti a justifié la nécessité de revenir sur la sortie du nucléaire par un changement de circonstances, à savoir l’évolution géopolitique, suite à la guerre en Ukraine, et la prise en compte d’un objectif de politique climatique, la décarbonation complète.

Avec cette justification, les anciens décideurs en matière de politique énergétique n’ont pas perdu la face et ont renoncé à des réactions de défi ainsi qu’à argumenter en retour.

Mais cette justification ne tient pas la route.

Si la situation géopolitique est particulièrement problématique pour l’approvisionnement en gaz, ce dernier n’aurait pas pris une importance grandissante pour la Suisse sans la sortie progressive du nucléaire. La Stratégie énergétique 2050 prévoyait la construction de centrales à gaz et/ou des importations massives d’électricité, dont une grande partie provenaient de centrales à gaz. De plus, lors de la votation sur la stratégie énergétique 2050 en 2017, la décarbonation, le Zéro net, était déjà un objectif connu de la Suisse en matière de politique climatique, mais il a été négligé de manière coupable dans l’estimation des besoins en électricité.

« L’erreur du siècle »

Au plus tard à l’occasion de l’accord de Paris sur le climat en 2015 et bien des années avant l’invasion russe de l’Ukraine en 2022, il était devenu clair, du point de vue de l’économie énergétique, que l’approvisionnement en électricité de la Suisse « dans le cadre » de la stratégie énergétique 2050 ne pouvait être garanti à long terme que par la poursuite de l’exploitation des anciennes centrales nucléaires ainsi que par des centrales à gaz et des importations, donc en grande partie en dehors de ce cadre. La politique énergétique à la Leuthard doit donc être jugée depuis longtemps comme un échec – et ce en tant que stratégie importatrice avec des importations de plus en plus incertaines.

Le réseau Carnot-Cournot autour du professeur Silvio Borner, économiste, n’a cessé de pronostiquer ces problèmes à partir de 2015 et de stigmatiser la stratégie énergétique 2050 comme « l’erreur du siècle ».

Maintenant, le regard peut se tourner vers l’avenir.: la stratégie dominante de la Suisse pour un approvisionnement en électricité durable et sûr avec la plus vaste décarbonation possible – la meilleure stratégie dans toutes les circonstances probables et selon tous les scénarios pertinents – conduit toujours à un panachage d’énergie hydraulique et nucléaire. Compte tenu des conditions naturelles de notre pays, les nouvelles énergies renouvelables ne peuvent avoir qu’une fonction de niche.

Mais les experts du conseiller fédéral Rösti ne parviendront à cette stratégie qu’en devant évaluer sans délai toutes les options possibles d’une manière impartiale et neutre sur le plan technologique, avec ou sans centrale nucléaire..

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