Doris Leuthard a sauvé les centrales nucléaires suisses

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La conseillère fédérale a mis en œuvre et fait accepter par un vote populaire le 21 mai 2017 une Stratégie énergétique fédérale qui ne prévoit pas à terme le remplacement des centrales nucléaires existantes. Toutefois, c’est grâce à sa campagne personnelle contre le référendum de sortie du nucléaire voté six mois plus tôt, le 27 novembre 2016, que les centrales nucléaires existantes resteront encore longtemps l’épine dorsale de l’approvisionnement de la Suisse en électricité. Cet épisode du mandat de Madame Leuthard mérite d’être mis en exergue. La branche électrique et le milieu nucléaire auquel j’appartiens ne peuvent que reconnaître la force de son action pour le «nucléaire construit», même si beaucoup d’entre nous portent un œil critique sur la Stratégie énergétique fédérale.
(Photo de titre: Doris Leuthard, à Québec, lors d’un séminaire ministériel sur la sécurité nucléaire).

Deux mois après Fukushima, le 25 mai 2011 à Berne, Doris Leuthard tenait conférence de presse pour présenter le virage énergétique du Conseil fédéral. Elle y décrit les grandes lignes d’une nouvelle stratégie qui exclut la construction de nouvelles centrales nucléaires en Suisse. Mais elle énonce pour la première fois la phrase clé qui va déterminer à l’avenir le rôle du nucléaire dans ce pays: «Les centrales nucléaires suisses resteront en service aussi longtemps qu’elles satisferont aux normes de sécurité en vigueur.» «Il n’y a pas de date butoir. Ce n’est pas la politique qui décidera de la durée d’exploitation, mais le niveau de sécurité.» Les journalistes présents, ébahis, tablaient sur un arrêt immédiat! La discussion qui s’en suivit tourna d’abord autour de 50 ans de durée d’exploitation, une valeur de référence habituelle à l’époque; la conseillère fédérale évoqua la possibilité de 60 ans, voire de 70 et 80 ans !

Doris Leuthard en compagnie du directeur de l’Inspectorat fédéral de la sécurité nucléaire, Hans Wanner, également président de l’Association européenne des inspectorats nucléaires

Durant les années suivantes, au cours du débat sur la stratégie énergétique fédérale Doris Leuthard a sans vaciller maintenu le cap sur la question des centrales existantes: en refusant une définition politique arbitraire de la durée d’exploitation dans la nouvelle loi énergétique et en déjouant toutes les manœuvres de la mouvance rouge-verte pour y introduire des dates butoirs périodiques. Elle apporta un soutien infaillible à l’Inspectorat fédéral de la sécurité nucléaire (IFSN) – qui défendait depuis longtemps la thèse que la durée d’exploitation n’était pas une question d’âge, mais d’état de santé à chaque instant.

Mais le plus gros travail restait à faire pour Doris Leuthard pour assurer l’avenir des centrales nucléaires. En 2012, la gauche avait lancé une initiative populaire fédérale prônant d’inscrire dans la Constitution une sortie graduelle rapide du nucléaire – par l’arrêt successif des centrales, la première en 2017, la dernière, Leibstadt, en 2029. La campagne qui précéda le vote du 27 novembre 2016 fut en tout point extraordinaire. Voilà une initiative qui détruisait une grosse infrastructure nationale produisant 40% de notre courant, une initiative combattue par le Conseil fédéral et le parlement. La campagne fut menée par Doris Leuthard, figure de proue active sur tous les fronts médiatiques, et ceci en l’absence discrète de ceux qu’on appelait auparavant avec beaucoup de respect les «barons de l’électricité», les patrons des entreprises électriques propriétaires des centrales. La moitié de leur capital de production se voyait menacée par cette initiative, et ils se taisaient, laissant à d’autres le soin de défendre ce pan essentiel de leur infrastructure! Le silence de la branche nucléaire fut assourdissant. Quelle pusillanimité envers certains de leurs administrateurs-politiciens – qui craignaient qu’un soutien au nucléaire le 27 novembre 2016 soit interprété comme une opposition à la nouvelle stratégie énergétique, alors que la «grande patronne» elle-même, Doris Leuthard, prenait position sans ambages à la fois pour le nucléaire existant et pour la nouvelle stratégie. N’a-t-on pas entendu avec ébahissement l’un de ces barons déclarer sa «neutralité» par un tour de girouette : en cas d’arrête prématuré, la Confédération nous payera des dommages-intérêts ; dans l’autre cas, ces centrales nous seront encore utiles ! Un baron peut-être, mais pas un capitaine d’industrie! ​

Télévision romande le 2 novembre 2016. Les pro-nucléaires : Doris Leuthard, le Conseiller national Jacques Bourgeois et le soussigné.

Le 27 novembre 2016, le peuple refusa l’initiative antinucléaire par une majorité assez confortable de 54,2%. Certes, une partie de la droite, notamment l’UDC, mena vigoureusement campagne contre l’initiative. Et économiesuisse aussi. Mais il ne fait guère de doute que c’est la conseillère fédérale qui a fait pencher la balance – grâce à son brio et son engagement. Sa motivation? Trois explications, je pense. D’une part pour rester dans la logique et la rigueur de sa prise de position de 2011 – «aussi longtemps qu’elles satisferont aux normes de sécurité». D’autre part, ce qui dominait à ce moment-là dans l’action politique de Doris Leuthard, c’était sa stratégie énergétique que l’arrêt trop rapide du nucléaire pouvait mettre en danger, car il fallait garantir un approvisionnement en électricité sans failles et sans pannes pour permettre à la stratégie de conserver un soutien populaire. Et enfin par loyauté argovienne. En début de carrière, Doris Leuthard avait bénéficié du soutien de la branche économique cantonale, convainque de l’importance du nucléaire pour le canton. Elle fut membre du Conseil d’administration de la centrale nucléaire de Leibstadt et membre du Comité central du Forum nucléaire suisse.

L’importance de Doris Leuthard à long terme ?

La Stratégie énergétique 2050 est inscrite dans une simple loi, une loi que le parlement peut modifier selon les nécessités politiques, économiques et sociales du moment. Ce qui n’est bien entendu pas le cas des dispositions de la Constitution fédérale. Madame Leuthard a du reste déclaré publiquement que l’interdiction du nucléaire n’aura peut-être plus de sens dans 30 ans et qu’il faudra peut-être changer la loi. Une flexibilité qui sera précieuse à l’avenir.

Une centrale nucléaire, c’est un élément d’infrastructure lourd et inerte, long à construire et pas aisé à mettre hors service du fait de la masse d’électricité produite (Leibstadt, c’est de l’électricité pour un million d’habitants et c’est l’équivalent de toute l’hydraulique valaisanne). Mme Leuthard a joué un rôle central dans le maintien de l’infrastructure nucléaire de la Suisse. Dans 30 ans (voire avant), dans un contexte européen certainement très différent, vraisemblablement plus difficile, le débat politique, ce ne sera pas de «construire de nouvelles centrales», mais de la nécessité de «remplacer les centrales existantes».

Bruno Pellaud, ancien président du Forum Nucléaire Suisse, ancien Directeur général adjoint de l’Agence internationale de l’énergie atomique.
(Une version courte de ce texte a été publiée dans le journal Le Temps du 10 octobre 2018)

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7 thoughts on “Doris Leuthard a sauvé les centrales nucléaires suisses”

  1. et pourtant cela aurait pu être tentant politiquement! Merci de le rappeler dans cette article, car on a un peu trop tendance au CCN de la critiquer très “vertement” pour la Stratégie Energétique 20250 qu’elle a défendu avec beaucoup de courage et de façon conséquente suite aux engagements pris par la Suisse à la COP 21 de Paris.

  2. S’il est vrai que c’eût pu être pire – ce que Mme Leuthard a contribué à éviter – le bannissement à terme de la technologie nucléaire reste une erreur, un autogoal, même approuvée par une majorité de votants.
    Par ailleurs la cause de tous cette transitionnite (CH, D, F, B, etc.) est avant tout liée aux affirmations de catastrophe climatique imminente.
    Alors même que le nucléaire est une solution à la question de décarbonation, l’abandon de compétences en la matière représente un grand danger pour notre compétitivité dans une ou plusieurs générations. Quels parents recommanderont désormais à leurs enfants d’étudier la physique et l’ingénierie nucléaire si c’est pour ne faire que des travaux de conciergerie, démontage et traitement de déchets?

  3. et on se tournera vers les Chinois ou les Coréeins au lieu des Américains pour en construire. Car en Europe plus personne ne sera capable de le faire. La conséquence de la stratégie suivie par la DG Energie à Bruxelles. Que peut faire la petite Suisse pour empêcher cette évolution et cette perte de compétence??

  4. [quote][i]”D’autre part, ce qui dominait à ce moment-là dans l’action politique de Doris Leuthard, c’était sa stratégie énergétique que l’arrêt trop rapide du nucléaire pouvait mettre en danger, car il fallait garantir un approvisionnement en électricité sans failles et sans pannes pour permettre à la stratégie de conserver un soutien populaire.”[/i][/quote]
    Der Axpo-Ingenieur und -Chefstratege [b]Nik Zepf[/b] hat dazu in einem hervorragenden Referat an der [b]CCN Tagung[/b] (https://stromversorgung.c-c-netzwerk.ch/index.php/de/tagung-ww) sehr interessante Zahlen ermittelt. Dank der verlängerten Laufzeiten der KKW – länger als den Planungen der Energiestrategie 2050 zugrundeliegend – gewinnt die Schweiz enorm an [b]Zeit und Flexibilität zur Suche nach einer besseren Strategie[/b] (denn die ES 2050 führt auf Dauer unweigerlich ins Desaster): In der Tat gewinnen wir gemäss den Zepf’schen Berechnungen
    [b]10 TWh im Jahr 2030
    16 TWh im Jahr 2035 und immer noch
    08 TWh im Jahr 2040[/b][quote][/quote]
    immer im Vergleich zu den Produktionsangaben in der ES 2050.
    So erbringen also die 4 verbleibenden KKW nach der Abschaltung von Mühleberg immer noch mehr Energie als in der ES 2050 ingesamt für alle neuen erneuerbaren Energieträger zusammen vorgesehen ist. Eine Import-Strategie ist die ES 2050 aber trotzdem – durch den Weiterbetrieb der KKW aber für die Landesversorgung massiv weniger risikobehaftet.
    Das hoch interessante Referat von Nik Zepf findet sich hier:
    https://stromversorgung.c-c-netzwerk.ch/images/Documents/VortragZepf.pdf

  5. Wenn sie pro-nucléaire wäre, dann hätte sie die CO2-ärmste Stromversorgung der Welt nicht mit ihrer Energiestrategie 2050 zerstört, sondern hätte sich bei der UNO, der EU und den Umweltschutzorganisationen mit der praktischen CO2 Freiheit gebrüstet.
    Begründungen:
    1. Alt BR Leuthard hat mit grosser Energie die Energiestrategie 2050 lanciert. Diese unnötige und nicht nachhaltige Energiewende basiert auf der – unsäglichen – Prämisse der Ausserbetriebnahme der Kernkraft. Diese Prämisse hat zwei Teile: Erstens, die zukünftige Schliessung der bestehenden KKW (wobei die Bundesrätin mit ihrem Verhalten bereits den Startschuss zur Ausserbetriebnahme von Mühleberg gab) und Zweitens, das Verbot für neue Kernkraftwerke. Sie hat damit die jetzige Strom-Versorgungssicherheit (und milliardenschwere Assets) der Schweiz zerstört und die zukünftige Versorgungssicherheit unerschwinglich teuer und unsauber (für die StromkonsumentInnen) gemacht.
    Zusätzlich: Mit der Schliessung der KKW hat die BR ihre eigenen Vorgaben für zukünftige CO2 Einsparungen torpediert.
    2. Eine Annahme der Atominitiative der Grünen hätte zum frühen Scheitern der Energiestrategie 2050 geführt.
    3. Gesetze könne man ändern, sagte BR Leuthard. Diese Aussage ist ein geschickter Schachzug: jedes Kind weiss, dass Gesetzesänderungen nicht so einfach sind, und dass zweitens ein neues Kernkraftwerk nicht innerhalb einer vernünftigen Zeit gebaut werden kann. Wer mein Argument nicht wahrhaben will, dem entgegne ich, wieso ein Verbot für neue KKW in ein Gesetz schreiben, wenn Frau alt BR wirklich «pro-nucléaire» wäre; dies umso mehr als KKW-Gegner behaupteten, dass ohnehin zukünftig kein KKW mehr gebaut werden wird. Sie wollte die Schliessung der KKW nicht nur mit Schloss sondern auch mit Riegel versehen.
    4. Eine umfassende Darstellung zum Verbot von KKW und zur Energiestrategie 2050 findet sich im Buch «Versorgungssicherheit: Vom politischen Kurzschluss zum Blackout» erschienen im Carnot-Cournot Verlag.

  6. Hans Achermann ist empört, dass mein Beitrag dem Namen von Doris Leuthard das Label “[i]pro-nuklear[/i]” verleiht. Im Rahmen der in meinem Text erwähnten Fernsehsendung musste ich sie als solche einstufen, die solide Verteidigerin der Schweizer Kernkraftwerke gegen eine heulende Meute von Atomkraft-Gegnern aus der Romandie (u.a. Isabelle Chevaley und Robert Kramer). Die Anti-Atom-Initiative vom 27. November 2016 war ein Kampf, der es zu führen galt. Leuthard hat es getan. Ihre Motive und ihre scheinbare Doppelzüngigkeit im Zusammenhang mit dem in ihrer Energiestrategie enthaltenen Atomausstieg spielten – angesichts des kurzfristigen Risikos eines naheliegenden und höchstwahrscheinlich fatalen Verschwindens der Nukleartechnologie in unserem Lande – keine Rolle.
    Was für eine doktrinäre Blindheit einiger Gegner eines Atomausstiegs [b]in 30 Jahren[/b], gegenüber einer Person, die am meisten zur Ablehnung eines Ausstiegs[i] in 5 Jahren[/i] beigetragen hat, und dazu den unbeschränkten Betrieb der heutigen Kernkraftwerke ins Gesetzt geschrieben hat. Gewiss mussten wir uns damals mit dem Dringendsten auseinandersetzen. Was auch immer ihre Motive und ihre tiefe Überzeugung waren, Doris Leuthard hat energisch gegen die Anti-Atominitiative vom November 2016 gekämpft, während sich die Strombranche sich in den eigenen Büros versteckte – ohne Kampf. Sie waren schmachvoll still, diese Strombarone, angeblich “[i]pronuklear[/i]”!
    Die Tatsache, dass Frau Leuthard die makroökonomischen und strategischen Mängel ihrer Energiepolitik nie verstanden hat, sollte uns nicht daran hindern, eine wertvolle Rolle bei der Erhaltung der nuklearen Option unseres Landes sie anzuerkennen.
    Noch das Wort: Doppelzüngigkeit. Daraufhin wählten die Strombarone als Präsidenten des Nuklearforums-Schweiz einen bürgerlichen Nationalrat, der sich für eine JA zur Energiestrategie und damit für einen festen Ausstieg aus der Kernenergie einsetzte, während das Forum seit 60 Jahren das Gegenteil verbreitete. Der neue Präsident sah darin keinen Widerspruch. Angesichts dieser Entartung blieb nicht übrig für mich, aus dem Forum auszusteigen und darum bitten, meinen Titel als ehemaliger Präsident und “Ehrenpräsident” aus den Akten zu löschen.

  7. für eine sichere Stromversorgung in der Schweiz. Das ist das Ergebnis der Strommarktliberalisierung vor 10 Jahren. Der Markt ist dafür verantwortlich und die vielen neuen Akteuren in Europa wollen in erster Linie Geld verdienen und daher falsche Investitionen vermeiden. Die Politik in der EU und in der Schweiz ist aufgrund der Komplexität der Materie weitgehend überfordert. Juristen und Ökonomen, und nicht mehr die Ingenieure, legen die Regeln für den Strommarkt fest, Viele profitieren, die Strompreise steigen dank der Liberalisierung, alles bestens oder läuft doch etwas schief?

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